martie 2024
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Elles ont de véritables cheveux, des yeux de verre soufflé et des poils humains sur leurs sourcils, leurs cils et même sur leur pubis. Malgré des bijoux voyants aux doigts, elles ne se gênent pas pour offrir un spectacle peu élégant, lorsqu'on regarde leurs ventres. Les vaisseaux lymphatiques, les cavités thoraciques et abdominales, tout se donne au regard au nom de la science. Ces Vénus grandeur nature ne sortent pas des vagues fécondes de la mer, comme dans l'imaginaire botticellien, mais ont été imaginées par des céroplastes, tels que Zumbo et Clemente Susini, l'inventeur de la première Vénus démontable - La Venerina (« la petite Vénus ») - pour faciliter l'exercice des examens anatomiques au 18e siècle, pour que les apprenties n'aient pas à supporter le spectacle sinistre de la désintégration de la chair humaine. Rappelons aussi, que l'illusion de leur conception hyper-réaliste a pu fasciner des personnalités telles que Sade ou les frères Grimm.

À nous de nous laisser surprendre aujourd'hui, trois siècles après la naissance de La Venerina, par les représentations vénusiennes en chair et en os, que nous propose la chorégraphe luxembourgeoise Sarah Baltzinger, dont le spectacle, Vénus anatomique, a clôturé la 26e édition du Festival Faits d'hiver à micadanses-Paris, le 9 février 2024, après la première française présentée à l'Arsenal Cité Musicale, à Metz. En entrant dans la salle, l'on repère cinq danseuses (contribuant au projet aussi en qualité de co-créatrices) - Chiara Corbetta, Océane Robin, Marie Levenez, Clara Lou Munié, Shynna Kalis - dont les regards vacillent entre indifférence et menace, comme si le flot de spectateur.ice.s envahissant l'espace était un acte de transgression face à un rituel intime qu'iels viennent perturber.


L'espace scénique épuré est dominé par la présence imposante de plusieurs tas de cheveux blonds synthétiques, descendant des cintres. Est-ce un lien secret, comme un ex-voto mystique, entre les danseuses sur scène et les modèles féminins de cire des siècles passés ; ou plutôt une dénonciation furieuse de « la confiscation du corps féminin », pour reprendre l'expression de la chorégraphe ? C'est sur cette ambivalence que se joue la dramaturgie conçue collectivement par Sarah Baltzinger, Amandine Truffy et Isaiah Wilson, soutenue par la musique ensorcelante de Guillaume Julien et les lumières de Thibault Dubourg. Portées par un jeu très physique, les cinq performeuses évoluent entre le décryptage du passé et la « fiction féministe » qui s'articule à présent. L'intensité du mouvement se laisse occasionnellement tempérer par un jeu de regard et une gesticulation faciale qui interviennent comme parenthèse, élargissant le champ d'interprétation offert par la danse.

Les performeuses s'élancent dans l'espace avec énergie et fureur, prenant d'assaut le sol, avec ce qui ressemble à un désir de vengeance pour toutes les formes de violence du passé et du présent, ayant marqué les corps des femmes. Une démarche loin d'être dépourvue d'ironie : les plastrons en silicone (créés par Manuela Benaim) couvrant leurs poitrines n'exercent plus leur fonction initiale, ancrée dans un imaginaire morbide ; en revanche, ils permettent de démarrer des gestes répétitifs-obsessifs à travers lesquels les danseuses finissent par banaliser l'objet. Lorsqu'elles lancent les accessoires artificiels en l'air pour commencer une sorte de ping-pong ludique, les danseuses démystifient alors la symbolique des seins, l'un des emblèmes les plus répandus dans la représentation du corps féminin, depuis l'antiquité gréco-romaine jusqu'à la culture pop.

Dans l'une des séquences les plus percutantes du spectacle, les performeuses se regroupent pour composer un étonnant tableau vivant. Le langage chorégraphique cède la place aux expressions du visage et à un travail vocal très élaboré, toujours dans un mélange d'ironie et d'absorption organique de la souffrance traversant les corps féminins frappés par des siècles d'injonctions. Des grimaces qui provoquent le rire, des soupirs hyper-théâtralisés et la simulation de pleurs - tout un panel de procédés performatifs, grâce auxquels les interprètes se transmettent des signaux pour manifester la force vitale qui les habite lorsqu'elles sont finalement libérées de leur idéalisante posture marionnettique immobile. C'est dans la même lignée que s'inscrit l'époustouflant solo de Chiara Corbetta. Les contorsions et les manipulations acrobatiques, qui mettent son corps à rude épreuve, font penser tantôt à l'émancipation, tantôt à la condition historique des femmes qui, pour être dignes d'admiration, doivent faire des gestes « exceptionnels » qui pourront les démarquer de la foule ; ou bien doivent accepter de se sacrifier sur l'autel de la souffrance.


La dialectique entre l'artificialité des Vénus anatomiques et l'état vivant des silhouettes, qui refusent toute assignation imposée, gagne en puissance, notamment grâce aux paroles saccadées livrées par Océane Robin. Sans cesser de se déplacer ou de se laisser transporter par ses consœurs, la danseuse donne à bout de souffle des phrases désarticulées, dont l'accumulation ne fait que remplir l'espace de bruits qui perturbent le discours chorégraphique en parallèle. Toute tentative de réflexion sémiotique cohérente échappe au spectateur bouleversé, car le but n'est pas de formuler un statement à travers la rhétorique en tant que telle, mais plutôt de sonder davantage la condition de la femme, entre artificialité et organicité. Tant qu'elles sont enkystées dans des représentations où le morbide, la sensualité et le statique se rencontrent, les figures féminines suscitent une forme de séduction immédiate auprès du regardeur. En revanche, à partir du moment où elles se délaissent de toute immobilité pour prendre la parole, ces mêmes femmes sont perçues comme dérangeantes et hystériques dans leur posture d'« éléments perturbateurs » ; leur étrangeté troublante se transforme en une plongée, beaucoup moins attirante, dans le prosaïque.

Le concept, proposé par Sarah Baltzinger et ses collaborateur.ice.s, n'échappe pourtant pas à quelques ambiguïtés. Si dans la plupart des cas, l'ambivalence citée en début de cet article parvient à multiplier les clés d'interprétation de Vénus anatomique, il est parfois difficile de faire la distinction entre les éléments dénoncés et les éléments dénonciateurs. Ainsi pourrait-on se demander si les sous-vêtements blancs en dentelle portés par l'une des danseuses, et si les gestes suggérant parfois la violence auto-infligée sont présents pour affirmer la reprise d'indépendance et d'autonomie, ou bien pour dénoncer les contraintes inscrites dans la chair par la logique patriarchale. Difficile de pouvoir déceler la nuance (si nuance il y a) entre les deux paradigmes.

Impossible pour autant de ne pas se laisser transpercer par l'écriture chorégraphique grâce à laquelle Sarah Baltzinger et ses compagnon.ne.s de route font se déplacer « des identités morcelées et grotesques » vers un territoire où être vivant est forcément synonyme de combat et de revendications, exigées haut et fort par tant (anti)Vénus contemporaines du monde entier.


(photo : Brian Ca)

(Vu à micadanses-Paris, le 9 février 2024, dans le cadre du Festival Faits d'hiver - faitsdhiver.com/evenement/venus-anatomique/ -, organisé par micadanses-Paris)
Concept, direction artistique, création et chorégraphie : Sarah Baltzinger
Co-création et assistanat à la chorégraphie : Isaiah Wilson
Co-création et performance : Chiara Corbetta, Océane Robin, Marie Lévénez, Clara Lou Munié et Shynna Kalis
Composition musicale : Guillaume Jullien
Dramaturgie : Amandine Truffy, Isaiah Wilson et Sarah Baltzinger
Recherche documentaire : Alexandra Joly et Sarah Baltzinger
Répétiteur : Brian CA
Scénographie : Manon Terranova
Création lumière et régie plateau : Thibault Dubourg
Body sculptures : Manuela Benaïm.

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